Simone DELGADO

   Simone ROLLOT, épouse DELGADO

 « 11 septembre 1944…

Date mémorable pour moi !


C’est la LIBERATION DE DIJON, en même temps que celle d’IS SUR TILLE, ma ville natale ; il n’y eut pas de combat, les Allemands ayant quitté le coin à la hâte. C’est donc avec un enthousiasme délirant que nous accueillons le premier engin blindé (le « Bir Hakeim ») qui débouche dans notre rue !

J’avais 18 ans (à l’époque, J3 pour les tickets de rationnement) et je détestais tous ceux qui portaient l’uniforme « vert de gris », depuis notre évacuation et les péripéties de notre exode. Il faut dire que mon père, vieux Poilu vosgien de la guerre 14-18, blessé et gazé, ne les portait pas dans son cœur ; mon éducation s’en est ressentie et ma rancœur envers « les boches » - comme il les appelait - fut encore plus vive quand, à notre retour d’exode, je m’aperçus que le beau vélo chromé offert pour mon certificat d’études avait disparu, mon père n’ayant rien fait de mieux que de le cacher … à la cave ! Pensez donc, l’endroit visité en premier dans la maison, surtout en Bourgogne, était la cave… Les bonnes bouteilles avaient disparu … et le vélo aussi !
Bref, nos soldats sont accueillis avec joie et je me souviens de l’entre d’eux qui avait une envie folle d’une bonne omelette, il n’en avait pas mangé depuis bien longtemps, ça changeait des « beans et rations K ».

« Beans » : haricots
« Ration K » : ration alimentaire de combat américaine
     
Le détachement est resté deux jours, puis est reparti pour d’autres combats. C’est alors que j’ai commencé à me poser la question :
                                                                         « Qu’est-ce que tu fais là ? »
Un peu partout, des jeunes s’engageaient ; chez nous, pas de garçon, mon frère était mort à 11ans ; j’étais donc fille unique. Pourtant, je désirais me rendre utile, apporter ma contribution, si modeste soit-elle, à nos combattants. J’en parlai avec un de mes cousins, nous étions à peu près du même âge.
« Tu es complètement folle », me dit-il, « Ce n’est pas ta place. » - « Et toi, qu’est-ce que tu attends pour partir ? », lui dis-je. « Pas question » me dit-il. Je lui fis honte en le traitant de dégonflé et nous en restâmes là…
Il me fallait trouver un autre moyen pour partir, mais lequel ?
A quelques temps de là, je rencontrai une camarade de Grancey le Château qui avait fait de la résistance active pendant l’occupation, à qui j’avais rendu quelques services lorsque  j’allais chez elle … (à bicyclette) ; lui faisant part de mon projet, elle déclara : « Vas voir à l’Hôpital militaire de Dijon, ils ont besoin de personnel pour la réception des blessés, ils sont débordés».
Sitôt dit, sitôt fait.
Je me présentai dès le lendemain au gestionnaire de l’Hôpital d’Evacuation n°413 (HE 413) qui me mit à la disposition du Centre de Tri, c’est-à-dire la réception des blessés qui affluaient par les navettes, trains et ambulances.
Du jour au lendemain, je fus plongée dans un autre univers, celui de la tragique réalité de la guerre avec son cortège de blessés sur leur brancard, sales, boueux, jeunes et moins jeunes, gémissants ou stoïques, parfois plaisantant ou pleurant de douleur, certains immobiles et pâles, pris déjà par la mort, défigurés par la souffrance.
A 18 ans, on a beau crâner, on n’est que des gosses !
Il ne fallait pas flancher, la main ne devait pas trembler devant ce dur spectacle, saisir la fiche du blessé, remplir le formulaire et le registre, ne pas perdre de temps, la vie tient à si peu de chose.
Entre deux convois ou une relève problématique, il était bon de se laisser aller en plaisantant avec les ambulancières !

En mars 1945, arriva la nouvelle : l’HE 413 fait mouvement sur Lure. Les camarades m’assaillent : « Viens avec nous ». Je ne me fais pas prier, mais voilà, il faut la signature de papa pour m’engager. Il se fait un peu prier – je suis sa fille unique, il faut le comprendre… Le renfort des camarades, venus le persuader et faire vibrer sa fibre patriotique, emporte la décision (Merci, papa !).
Lure, Belfort, Karlsruhe, Trèves, autant d’étapes où la navette des ambulances apporte encore et toujours son cortège de combattants, de blessés (que de pieds gelés !).

Mai est arrivé, l’Armistice, l’euphorie de la fin des combats.
Pour nous, la mission a continué encore un certain temps : les prisonniers, les déportés squelettiques, faibles comme des enfants, ont clos le tragique défilé.

La mission terminée, j’ai quitté l’uniforme pour rentrer chez nous. Certaines partaient pour l’Indochine! »                                                               

AFAT : Auxiliaire Féminine de l’Armée de Terre

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